NOTRE HÉROS DÉFIGURÉ

suivi de L'OISEAU AUX AILES D'OR et de L'HIVER, CETTE ANNÉE-LÀ

 

Yi Munyŏl

 

livre

C’est le feu de mon désir qui s’était acharné avec férocité, mais, dans le même temps, avec pitié et mélancolie.

Littérature générale étrangère

 

Nouvelles     Littérature coréenne    

Adulte 

 

   Les trois récits du grand écrivain coréen ici rassemblés ont chacun une valeur de fable : Notre héros défiguré – à travers le portrait de l’élève brutal qui, avec la complicité du maître, impose sa loi à ses condisciples – dénonce le règne des petits chefs et les vices de la tyrannie politique.

Le héros de L’Oiseau aux ailes d’or s’interroge, au moment de la mort, sur son art de calligraphe et le récit dès lors devient une méditation sur le rôle même de la création.

Dans L’Hiver, cette année-là, c’est l’essence profonde de l’existence qui préoccupe le narrateur, quand il voyage dans les solitudes glacées de la Corée avec le projet de mettre fin à ses jours. Trois courts romans comme des pépites pour découvrir l’univers secret de Yi Munyol et sa spiritualité troublante.

Critique par Chloé M. R.

 

    J’ai eu envie, un soir d’hiver, de découvrir la littérature coréenne. Il ne m’en fallait pas plus pour me décider à me perdre parmi les milliers d’œuvres qui composent la section "Littérature étrangère format poche" de l’immense librairie dans laquelle je vagabondais. Sans auteur précis en tête, je me contentais de regarder les tranches des livres, au hasard, à la recherche d’un titre marquant. Celui-ci l’était. Notre héros défiguré. Tout un programme. La beauté de la couverture a confirmé ma première impression : ceci était définitivement intéressant. Le fait que trois textes se côtoient en deux cent cinquante pages m’a, par contre, laissée plus mitigée : cela suppose des récits très court ce qui a autant d’avantages que d’inconvénients. Mais tant pis, ma curiosité était piquée.

    Pour commencer, il me semble important de revenir sur un point de détail : la couverture de l’édition évoque trois « romans », mais ce terme me semble impropre. De par leurs longueurs, respectivement cent pages pour le premier et soixante-dix pour les deux autres, ces trois textes s’apparentent davantage à des nouvelles : d’un point de vue formel, c’est la seule imperfection qui soit notable. La traduction est très fluide et il y a une vraie volonté de se rapprocher le plus possible des spécificités de la vie coréenne évoquées dans certains passages, notamment en conservant les termes utilisés pour les unités de distance, par exemple. De plus, lorsqu’il est nécessaire de traduire la signification d’un prénom pour pouvoir comprendre certains éléments de l’intrigue, cela se fait très simplement, subtilement, au moyen d’une incise et ne dénature donc aucunement le texte. Néanmoins, on peut regretter l’absence de notes pour aider le néophyte face à des références qui peuvent parfois paraître obscures ; ainsi si le contexte permet rapidement de comprendre ce que sont des kisaeng, ce n’est pas le cas pour les diverses écoles et les divers maîtres de calligraphie nommés dans la deuxième nouvelle.

    Si, dans un premier temps, il paraît étrange d’avoir lié ces trois textes dans une même édition, du fait de leurs sujets apparemment très différents, à la lecture, les liens entre eux deviennent évidents. Ainsi, d’un point de vue formel, tous sont écrits selon le même système : le narrateur, plus âgé, revient sur des évènements passés, les revit, et s’interroge sur leur aspect fondateur pour son évolution. Le prétexte de ce retour sur soi diverge à chaque fois, la manière et la raison de le faire aussi, ce qui permet agréablement d’éviter une forme de redondance tout en conservant une certaine unité. Une grande place est donc laissée à la réflexion, dans chacune des nouvelles, pour explorer la thématique principale de celle-ci ; cela suppose un rythme global assez lent qui, par moment, peut laisser l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose et, en terme d’action uniquement, c’est assez vrai – sauf pour la première nouvelle au rythme plus enlevé. Malgré leurs évidentes ressemblances, ces œuvres abordent toutefois des thématiques très différentes ce qui donne l’occasion d’observer plusieurs visages de la Corée. La première nouvelle nous permet ainsi de découvrir l’environnement scolaire d’un enfant, tout en abordant aussi les dichotomies entre la campagne et Séoul, et en se questionnant sur les rapports de pouvoir ainsi que sur la liberté. Le deuxième texte est une superbe réflexion sur l’art, l’artiste et la transmission. On y apprend beaucoup sur la calligraphie et son importance. Enfin, la troisième nouvelle est une longue méditation sur l’existence portée par un homme qui se vêt de masques au fil des rencontres pour finalement pouvoir se rencontrer lui-même et, avec lui, on découvre aussi bien la cour d’une auberge de province que les tempêtes de neige des montagnes et leur étrange beauté. Ces trois narrateurs nous offrent aussi trois visages, trois interprétations, trois prismes, au fond, pour découvrir un peu la culture coréenne.

    Cette lecture était très agréable, dire le contraire serait mentir, mais malheureusement elle a confirmé mes craintes initiales : le format assez court me laisse une impression d’inachevé, sans doute accentuée par le côté « tranche de vie » de certaines nouvelles. Néanmoins, il me semble que c’est une très bonne introduction à la littérature coréenne, à la fois par la fluidité de la traduction et par la diversité des histoires. Je le conseillerai donc volontiers à qui cherche à découvrir un peu les œuvres littéraires de Corée mais serait encore hésitant. Pour ma part, je suis tout à fait décidée à découvrir de nouvelles œuvres aussi bien de cet auteur que de ses compatriotes.

note

Une bonne introduction à la littérature coréenne.

Imprimer E-mail