DANS LES VEINES
Morgane Caussarieu
Gabriel se tenait au centre de cette foule, entouré de corps chauds et gorgés de sang. L’odeur de la sueur le rendait fou. Il passa sa langue dans le trou entre ses dents, et fit vaciller ses incisives sur le point de tomber. Il ferma les yeux et essaya de penser à autre chose qu’au sang, ce sang qui représentait la quête de toute son existence, la seule raison qui le poussait à vivre et à traverser les siècles. Le sang, toujours le sang, rien que le sang ?
Littérature de l'imaginaire
Fantastique Horreur Splatterpunk
Adulte
La canicule enflamme les nuits bordelaises. Une bande de camés dévaste un supermarché. Et tandis que l’on repêche des cadavres exsangues dans la Garonne, des filles perdues poussent leur dernier soupir sur le son du Bathory, nouveau repaire de la faune nocturne. Chargé d’enquêter sur ces événements, le lieutenant Baron suit la trace de tueurs dégénérés avides de sexe, de drogue et de rock’n’roll, bien décidés à saigner la cité girondine.
Vampires… Le mot, absurde, échauffe les esprits, sans que personne n’ose encore le prononcer. Et alors que l’investigation piétine, Lily, la propre fille de Baron, s’entiche de l’inquiétant Damian, pensant trouver dans cette passion toxique un remède à son mal-être.
Critique par Maud G.
J'ai découvert Morgane Caussarieu à l'occasion du Salon Zone Franche 2013. Mais ce n'est que bien des mois plus tard que je me suis décidée à lire Dans les Veines, appréhendant un énième livre sur les vampires à une période où ils étaient publiés par centaines. Morgane me le vendait comme étant un bon coup de rangers dans les rotules – ce qui, venant d'un auteur au look punk pur jus et arborant de super tatouages, ne pouvait que nourrir ma curiosité –, et ma critique, Lise M., me certifiait que j'allais adorer. J'ai tellement bien fait de les écouter !
Ce livre commence par un élément crucial pour moi : sa couverture. Celle-ci est très représentative de ce qui nous attend, entre ce personnage au regard à la fois séducteur et carnassier, mais surtout un premier aperçu de cet univers sombre et alternatif de rue (pour le format broché). Le livre s'affiche clairement splatterpunk et l'écriture de Morgane Caussarieu fait honneur au genre. Le ton employé est brute de décoffrage pour une plume acérée, sèche, qui taille dans le vif sans demi mesure. On ne s'encombre pas avec des fioritures, on tourne des pages qui, si elles n'étaient pas écrites à l'encre, seraient tachées de sang, de sueur, de sperme, le tout avec quelques relents d'alcool et des brûlures de cigarettes. Le texte trace sa route avec un rythme plutôt posé pour nous permettre de suivre une dynamique qui accélère crescendo, enveloppée d'une tension permanente. La narration n'est pas linéaire, on passe de point de vue interne en point de vue interne pour une meilleure immersion, certes, mais les changements sont parfois un peu tranchants. Le vocabulaire n'accepte pas la censure, les descriptions non plus ! Le roman n'est pas à mettre dans toutes les mains, et surement pas dans les plus prudes ! L'auteur ne mâche pas ses mots, pas plus que ses personnages : c'est gore, c'est cru et c'est cul, ça dégouline, c'est déjanté et violent... Bref, du pur Slatterpunk !
Côté récit, il est de bon ton de commencer comme cela se terminera : salement. Morgane Caussarieu maîtrise chaque instant de son récit et sait retourner la moindre situation, le moindre détail, pour faire prendre une toute autre tournure aux situations. Le paysage urbain avec tout ce qu'il y a des plus dépravés fait planer un voile omniprésent de malaise dans l'ambiance générale du récit. Et les personnages – avec leur propre vécu –, sont là pour nous rappeler que la vie n'est pas rose. On a évidemment Lily, protagoniste principale niaise à souhait, victime au quotidien que ce soit de son père flic abuseur ou de ses relations toxiques, à laquelle on ne parvient pas à s'attacher, malgré la compassion qu'on pourrait lui montrer face à sa vie qui se résume à « Foutre, larmes, sueur et sang... Tu avales tout ce qui coule, tu le digères, un cycle sans fin... », alors même que cette citation ne la concerne pas à la base, tant son mal-être continue à la poursuivre... Son amour pour Damian, vampire manipulateur tel un chat jouant avec la souris qu'il se réserve pour son diner, n'arrangeant pas les choses comme elle l'espérerait. On n'oublie pas Gabriel, vampire emprisonné dans son apparence d'enfant de dix ans, que l'âge et la frustration ont rendu de plus en plus sadique et capricieux. Chef d'une famille de vampires, composée notamment de J.F, punk marginal enfermé dans le souvenir des années 70 avec ses "bons vieux copains" et de Seiko, beauté d'Asie éternelle tantôt amante et tantôt mère, à travers laquelle il tente de vivre ses pulsions et perversions. On passe d'une personnalité désenchantée à une autre, tout en clair obscure et en cicatrices. Les vampires sont des prédateurs, des animaux poussés par leurs bas instincts qui ne laissent pas de place à la moral. S'ils sont l'élément fantastique du roman, on peut leur prêter un autre sens de lecture plus allégorique qui peut faire poser la question des limites de l'humainement acceptable... Mais ils ne sont qu'un parmi tout ce qui fait l'horreur. On est à la limite du thriller psychologique, avec un acharnement à revenir sur un schéma de scènes toujours plus malsaines et à l'évolution qui peut sembler répétitive tant la progression joue sur des détails... qui ne nous sont jamais épargnés entre vices, viols, violences, tortures patinées d'un certain voyeurisme morbide.
Dans les Veines n'a clairement rien à voir avec tous les autres livres du paysage lisse du fantastique vampirique pour ado... Et c'est tant mieux ! Si je devais donner une piste de comparaison, je proposerais volontiers Âmes perdues de Poppy Z. Brite. Alors oui, pour répondre à la question, je l'ai pris mon coup de rangers dans les rotules, mais cela en valait vraiment le coup. Le roman a beau être un condensé Sex, punk, blood & gore qui en choquera plus d'un, ne vous laissez pas tromper, car ces vampires sont peut-être des animaux poussés par leur instinct de survie et leur dépravation, ils nous attirent et nous touchent plus qu'on ne l'imaginerait... Bref, un livre qui renoue avec modernité avec les origines du mythe vampirique pour nous procurer un certain plaisir inavoué... Un livre qui plaira aux amateurs de Clive Barker, Jack Ketchum ou Poppy Z. Brite. Aussi je maintiens : âmes sensibles, passez votre chemin !
ça gicle, mais c'est bon !
Critique par Ian B.
Bon, lorsqu'on a été responsable d'un rayon jeunesse /adolescent et d'un rayon SF, on pense facilement avoir vu beaucoup de choses. Suite à tous les romans fantastiques pour adolescentes publiés de manière hallucinante depuis Twilight, La Saga du désir interdit, on a de tout : du bon, du moins bon, du pire... Au point qu'on devient frileux et très critique. C'est dans cet esprit que je me suis retrouvé à lire Dans les veines, un livre arrivé en service de presse (merci encore Nathalie Weil pour cette découverte) ; je me suis dit « pfff encore un… Bon je le lis et dès qu'il arrive, je le mets en jeunesse et je l'oublie… » Première erreur ! Grave et grossière erreur !
Avant d'entrer dans le fonds du livre, la forme, à elle seule, est une baffe immédiate et claquante. Bon, faisons simple : l'auteur est une jeune femme française. Là c'est pour son côté "simple". Mais Morgane Caussarieu est une punk. Elle le revendique et son roman le prouve au cas où vous auriez un doute. Lorsqu'elle a des choses à dire, elle les dit. Enfin elle les balance à la gueule ! Si ça vous plait, c'est bien, sinon vous feriez mieux de fermer le livre. Le style est brut. Sec. Réel. Sans aucune concession. Et c'est là le premier choc. Non ce livre n'est pas à mettre dans toutes les mains. Surtout pas ! Jamais ! On alterne divers points de vue : celui d'un flic qui enquête sur des meurtres sanglants dans Bordeaux., celui d'une jeune fille qui tombe amoureuse d'un "bad guy", celui d'un jeune garçon aux mœurs originales, celui d'un punk complètement imprévisible et dangereux... À ce listing, on pourrait se dire que l'histoire et la forme sont opposées. Et non. Chaque personnage est creusé, profond. Chacun a ses travers et ses "bons" cotés. Mais aucun n'est blanc ou noir. Tous sont en nuances et surtout sombres et torturés, depuis l'héroïne jusqu'au "bon flic".
Bon un style littéraire brut et sans concessions, c'est bien. Mais l'histoire ? Là oubliez les références comme les Vampire de Chicago, Twilight ou tous autres vampires aseptisés. Reprenez plutôt Anne Rice ou Poppy Z Brite et vous serez plus proche de ce que cette jeune auteur a voulu donner comme ton. « Les gentils vampires ça n'existe pas ! » cette phrase résume très bien le cœur de l'ouvrage. Ici on est dans du réaliste. Les vampires sont des personnes aux morales désaxées, des monstres et, qu'à cela ne tienne, ils seront sanglants, auront des amours frôlant la perversion et le sadisme. Et c'est là que le livre est une vraie bouffée d'oxygène paradoxale. Face au flot d'ouvrages mettant ses créatures en scène, Dans les veines a un ton bien à lui et se démarque d'une manière originale et violente. Depuis J.F. qui est l'archétype du punk des années 70 en marge d'une société dont il abuse. Gabriel, l'enfant vampire qui se crée sa propre famille, mais qui reste un enfant d'une dizaine d'année, colérique et sadique. Le flic qui, personnage principal d'une partie de l'intrigue, viole sa fille régulièrement. Et cette dernière, amoureuse d'un vampire, dont le passé décrit avec précision est fait de tentatives de suicide et de mal être. Donc non, l'histoire n'est pas rose, mais une succession de scènes noires éclaboussées de sang, car, oui, ce roman est carrément gore, au point parfois que la lecture en soit difficile, mais c'est justement là que Morgane Caussarieu sort des sentiers battus. Elle nous prouve qu'on peut encore écrire sur les vampires et le faire bien en étant réellement original. Oui le livre va subir la comparaison avec ce que l'on trouve aujourd'hui, mais c'est une erreur de jugement. Il ne faut pas comparer Dans les veines à ce qui se fait aujourd'hui, mais à ce qui a été fait. Comparez donc ce livre avec La chronique des vampires d'Anne Rice ou Âmes perdues de Popoy Z Brite et vous aurez de vrais éléments pour juger.
Que dire pour conclure cette chronique sanglante ? Dans les veines est une immense claque. Déjà il ne s'agit surtout pas d'un roman pour ados. Même certains adultes seront choqués par les scènes crues, car oui c'est un roman gore. Mais une vraie bouffée d'oxygène dans le milieu aseptisé des romans de vampire actuels. Bien que ce récit en reprenne les caractéristiques principales, voyez-le plus comme un anti-twilight torturé à coup de lames de rasoir. Le récit est original, le ton surprenant et n'accepte aucuns compromis. Alors je n'hésite pas à dire que Morgane Caussarieu nous prouve, avec ce premier roman – et les suivants –, qu'elle est LA Anne Rice française. L'auteur américaine avait dynamisé le monde des vampires dans les années 70-80, cette petite française a repris ce point de vue de vampires monstrueux et a donné un vrai coup de fouet au genre.
tellement punk